Un homme écoutait les histoires que racontait un sage professionnel et voyait qu'elles étaient
interprétées tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Il s'en plaignit : à
quoi bon, dans ce cas raconter des histoires ?
Le conteur lui répondit :
- Mais c'est tout ce qui fait leur valeur ! Quelle importance accorderais-tu à
une tasse où on ne pourrait boire que de l'eau, à une assiette où on ne
pourrait manger que de la viande ? Et j'ajoute, écoute-moi bien : une tasse et
une assiette ont une contenance limitée. Que dire alors du langage, qui parait
devoir nous fournir une nourriture infiniment plus large, plus riche, plus
variée !
Il se tut un instant, puis ajouta :
- La véritable question n'est pas : "Quel est le sens de cette histoire ?
De combien de manières puis-je la comprendre ? Peut-on la ramener à un seul sens
?" La question est : "Cet individu auquel je m'adresse, peut-il tirer
profit de ce que je vais lui raconter ?"
Humour
- L'antagonisme mâle
à l'endroit de Nancy Astor, la première femme à occuper un siège à la Chambre
des communes à Londres, se manifesta à plusieurs occasions. Winston Churchill
manqua plusieurs fois de courtoisie à son égard. Un jour Churchill chercha à
s'excuser :
- Votre intrusion dans cette chambre dominée par les hommes est vraiment embarrassante...
aussi embarrassante que si vous faisiez irruption dans ma salle de bain alors
que je suis complètement nu...et que je n'ai rien sous la main pour me couvrir
!
- Franchement Winston, répliqua Lady Astor, vous ne devriez pas vous en faire
pour une si petite chose...
- Eubie Blake,
pianiste de jazz et compositeur américain, avoua avoir commencé à fumer à l'age
de six ans et n'avoir jamais bu d'eau de sa vie. Le jour de son centième
anniversaire, en février 1983, il déclara à un journaliste :
- Si j'avais su que j'allais vivre aussi longtemps, j'aurais fait plus
attention à ma santé !
- Louis XIV montra
des poèmes qu'il venait d'écrire au poète Boileau afin d'avoir l'avis de ce
dernier. Boileau n'était pas seulement un grand poète, il était aussi un habile
courtisan. Piégé par Louis XIV, Boileau lui répondit:
- Sire, rien n'est impossible à votre Majesté. Votre Majesté a sans doute voulu
écrire de mauvais vers, et Elle a réussi.
- Quelqu'un demanda
un jour au cinéaste Mel Brooks ce qu'il pensait des critiques:
- Ils sont bruyants la nuit et, quand vous êtes à la campagne, ils vous empêchent
de dormir.
- Mais non, lui dit son interlocuteur, je ne parle pas des criquets, je parle
des critiques.
- Ah! Les critiques... Ils ne sont bons à rien. Ils ne sont même pas capables de
faire de la musique avec leurs pattes arrière...
- Lady Astor engagea
un jour une vive discussion avec Winston Churchill sur l'égalité des femmes en
politique. Churchill ne lui donna aucune chance et contesta vivement tout ce
qu'elle affirmait sur ce sujet.
- Winston, dit-elle, si vous étiez mon mari, je mettrais du poison dans votre
café...
- Et moi, répondit Churchill, si vous étiez ma femme, je le boirais!
- Un jour l'auteur
dramatique Georges Courteline était assis à la terrasse d'un café en compagnie
d'un journaliste Ernest Lajeunesse, un homme fort laid et toujours vêtu de
façon négligée. Soudain le journaliste s'écria:
- Zut! Je viens d'avaler une mouche...
- Tant mieux! répliqua Courteline. Je suis toujours content quand il arrive un
malheur à ces sales bêtes.
- Sacha Guitry
assistait à une réception en tenue de soirée lorsqu'un grossier personnage le
prit pour un maître d'hôtel et lui demanda un renseignement.
- Pardon mon ami, pouvez-vous m'indiquez les toilettes?
- Prenez cette direction, dit Guitry, suivez le couloir, tournez à droite, vous
verrez une porte où il est écrit "Gentlemen". Alors, vous entrez
quand même.
- Au temps où les
deux Guitry, Lucien le père et Sacha le fils jouaient au théâtre de la Porte
Saint-Martin, Lucien reçut dans sa loge le directeur dudit théâtre.
- Maître, lui dit-il, votre fils Sacha a eu à mon égard des propos affreux. Il
m'a dit :"Je n'irai pas à votre enterrement".
- Ah! Ce n'est pas gentil, répondit Lucien Guitry... Mais rassurez-vous, je me
ferai un plaisir d'être là.
- Une dame se
plaignit à Georges Bernard Shaw de la difficulté de vivre à deux.
- La cohabitation n'est pas facile. Chacun des conjoints rivalise d'égoïsme.
- Quand un homme et une femme sont mariés, ils ne deviennent plus qu'un,
répondit Shaw; bien sûr, la première difficulté est de décider lequel...
- Dans un café, Paul
Verlaine fouillait dans ses poches et dans son porte-monnaie. Le patron lui
demanda:
- Vous avez perdu quelque chose, Monsieur Verlaine?
- Non, je regarde simplement si j'ai encore soif.
- Grand ami de
Voltaire, l'abbé de Voisenon avait oublié l'invitation à dîner du prince de
Conti. Celui-ci s'en montra fort mécontent. Comme l'abbé venait s'excuser, le
prince lui tourna le dos. Voisenon répliqua à sa manière:
- On m'avait dit que vous m'en vouliez. Mais je vois que c'est le
contraire...Votre Altesse me tourne le dos. Ce n'est pas son usage d'agir ainsi
devant ses ennemis.
- Un homme d'un
certain âge prit rendez-vous chez un médecin de renom. Le médecin prit sa
tension, examina le fond de ses yeux, ses poumons, sa gorge. Il lui fit passer
un électrocardiogramme, un encéphalogramme, différents tests et analyses. Quand
les résultats furent connus, le médecin convoqua le patient, vérifia certains
détails, écrivit pendant un bon quart d'heure des lignes pressées sur une page
blanche, et finalement dit:
- J'ai tout inscrit ici. A partir de maintenant, vous ne fumerez plus et vous
ne boirez plus une goutte d'alcool, sous aucun prétexte. Vous supprimerez le
sucre et toutes les matières grasses, même l'huile de tournesol. Vous
supprimerez également les pommes de terre, les haricots et généralement tous
les féculents. Vous vous abstiendrez de faire l'amour. Voici ce que vous
pourrez manger : de la salade et des poireaux cuits sans aucun assaisonnement,
quelques navets à la vapeur, des pommes au four - naturellement sans sucre - et
deux fois par semaine cent grammes de viande maigre grillée. Enfin, une fois par
semaine vous aurez le droit à un yaourt nature et à un morceau de poisson
bouilli, sans huile ni beurre. Si vous ne suivez pas mes instructions, vous en
avez pour trois mois.
- Et si je les suis, demanda l'homme, je peux espérer vivre plus longtemps?
- Certainement pas, dit le médecin. Mais, comme ça le temps vous paraîtra plus long.
- Un sculpteur se
fait livrer un gros bloc de pierre et se met au travail. Quleques mois plus
tard, il achève de sculpter un cheval. Un enfant qui l'a regardé travaillé, lui
demande alors:
- Comment savais-tu qu'il y avait un cheval dans la pierre?
- Un homme se promène
en montage. Soudain il glisse et tombe dans un ravin. Par chance, il réussit à
s'accrocher à un maigre arbuste qui pousse entre les rochers. En dessous de lui
le vide et la mort. Ses mains s'agrippent à l'arbuste, mais elles vont bientôt
lâcher prise. D'ailleurs, l'arbuste craque, ses racines se déchirent. L'homme au
sommet de l'angoisse lève les yeux au ciel et crie:
- Il y a quelqu'un? Il y a quelqu'un?
- Je suis là mon fils, lui répond une voix solennelle. N'aie aucune crainte et
lâche l'arbuste. Mes anges se saisiront de toi et te déposeront doucement sur
le sol.
L'homme réfléchit un instant avant de crier:
- Il y a quelqu'un d'autre?
- Un homme entourait
un jour sa maison d'un cercle de pain. Un passant s'arrêta et lui demanda les
raisons de cette pratique singulière.
- C'est pour me protéger des tigres, répondit l'homme.
- Mais il n'y a pas de tigre ici!
- Ah! Tu vois que ça marche.
- Trois rabbins sont
assis à l'arrière d'un taxi. Le premier soupire et dit:
- Quand je pense à Dieu, je me dis que je suis vraiment très peu de chose.
Le second rabbin dit au premier:
- Si toi, tu es très peu de chose, alors qu'est ce que je suis? Je ne suis
rien.
Le troisième rabbin dit au second:
- Si toi tu n'es rien, alors qu'est-ce que je suis? Je suis moins que rien! Je
suis au dessous de tout!
Le chauffeur de taxi se retourne à ce moment là et leur dit:
- Mais si vous parlez de cette manière, si vous dites que vous n'êtes rien, que
vous êtes même moins que rien, alors qu'est-ce que je suis moi? Il n'y a même
pas de mot pour me décrire! Je n'existe pas!
Les trois rabbins le regardent et disent alors:
- Mais pour qui il se prend, celui là?
- Un maître Zen, apprenant
un jour qu'un de ses disciples n'avait rien mangé depuis trois jours, lui
demanda les raisons de ce jeûne.
- J'essaye de lutter contre mon moi, lui dit le disciple.
- C'est difficile, dit le maître en hochant la tête. Et ça doit être encore
plus difficile avec l'estomac vide.
- Un marchand vint un
jour trouver Nasreddine Hodja et lui dit:
- Je te propose une affaire exceptionnelle. Tu me prêtes cinquante dinars, avec
lesquels j'en gagnerai soixante-dix. Bénéfice net : vingt dinars. Dix pour toi,
dix pour moi. Qu'en penses-tu ?
- C'est en effet très intéressant, répondit Nasreddine après réflexion. Mais je
te propose une autre affaire meilleure pour toi et pour moi.
- Laquelle ?
- Eh bien, voilà : je te donne ces dix dinars. Prends-les. Tu fais un bénéfice
immédiat, et tu n'as rien déboursé. Pour moi, j'en ai gagné quarante. En plus,
remarque-le, de cette façon nous évitons toutes les querelles qui accompagnent
en général ces transactions.
Sagesse
- Un maître dit un
jour à ses esclaves:
- Vous êtes libres.
- Quoi? s'écrièrent alors les esclaves. Mais ce n'est pas à toi d'en décider!
L'initiative doit venir de nous, sinon cela ne compte absolument pas.
- Eh bien, dit le maître, décidez-vous.
- Quoi? s'écrièrent alors les esclaves. Tu nous donnes des ordres ? Mais à quoi
ça sert d'être libre?
La discussion qui était mal engagée, tourna rapidement à l'aigre. Il s'ensuivit
une longue guerre, très longue, si longue que ceux qui y prennent part
aujourd'hui ont oublié les raisons pour lesquelles elle a commencé.
- Dans un village,
tous les habitants étaient aveugles. Vint à passer un roi dans un superbe
équipage. Ce roi voyageait à dos d'éléphant, animal inconnu dans cette partie
de la Terre. En entendant parler d'une nouvelle bête, apparemment phénoménale,
plusieurs aveugles du village se rendirent en délégation auprès du roi et de sa
cour. On les autorisa à toucher l'éléphant qui se laissa faire. Quand ils
retournèrent à leur village, un grand nombre d'aveugles se rassemblèrent autour
d'eux et leur demandèrent une description de l'animal extraordinaire. Le
premier aveugle qui n'avait touché que l'oreille de l'éléphant dit:
- C'est un animal large et plat, un peu rugueux, comme un vieux tapis.
Le second qui avait touché la trompe dit alors:
- C'est long, mobile et creux. Ça a beaucoup de force.
Le troisième aveugle qui avait touché une patte dit:
- C'est solide et stable comme une colonne.
Les habitants du village ne s'estimèrent pas satisfaits et demandèrent d'autres
détails, mais les trois aveugles furent incapables de s'accorder. Le ton de la
discussion s'échauffa. Ils en virent à se battre à coup de poing, à coup de
canne, et à se blesser.
Quelques aveugles plus sages que les autres suggérèrent d'envoyer une nouvelle
délégation auprès du roi pour obtenir une description plus complète de sa
monture. Mais quand ils arrivèrent le roi et toute sa cour étaient partis.
- Un misérable, qui
travaillait en vain, prit la décision d'aller se plaindre de son sort auprès de
Dieu. Il se mit en route et rencontra un loup, qui lui demanda sa destination.
- Je vais me plaindre à Dieu, dit l'homme. Il s'est montré très injuste envers
moi.
- Veux-tu me rendre service? demanda le loup. Du matin au soir, et aussi la
nuit, je cours de tous côtés pour chercher ma pitance. Demande à Dieu: pourquoi
as-tu créé le loup, si tu le laisses crever de faim?
L'homme promit de poser la question et se remit en chemin. Un peu plus loin, il
rencontra une jeune fille charmante. Elle lui demanda le but de son voyage. Il
lui expliqua, la jeune fille dit alors:
- Je t'en prie, si tu vois Dieu, parle-lui de moi. Dis-lui que tu as rencontré
sur la terre une jeune fille charmante, douce, belle, riche, en très bonne
santé, et pourtant malheureuse. Que dois je faire pour connaître le bonheur?
- Je poserai la question, dit l'homme.
Un peu plus loin il s'arrêta pour se reposer au pied d'un arbre. Or cet arbre,
bien que planté dans une bonne terre restait rabougri, presque sans feuille. Il
interrogea l'homme et lui dit:
Pourrais-tu parler de moi, si tu vois Dieu? Dis lui que je ne comprends rien à
ma destinée. Vois, cette terre est fertile, et pourtant hiver comme été mes
branches sont nues. Que faire pour porter des feuilles vertes comme les autres
arbres, et aussi des fruits?
L'homme promit à l'arbre qu'il parlera à Dieu. Et il poursuivit son chemin.
Après une longue marche et des péripéties qui n'ont pas été révélées, il
parvint auprès de Dieu, le salua et lui présenta sa supplication.
- Tu traites tous les hommes de la même façon, lui dit-il. Mais regarde-moi :
je travaille de toutes mes forces le jour comme la nuit, je me prive de tout et
je mène une vie de malheur. J'en connais d'autres qui travaillent beaucoup
moins que moi et qui mènent une vie douce. Peux-tu me dire où est l'égalité ?
Où est la justice ?
- Je t'offre ta chance, lui répondit Dieu. Saisis-la, et tu seras riche et
heureux. Va rentre chez toi!
Avant de prendre congé, l'homme exposa le cas du loup, de la jeune fille et de
l'arbre maigre. Dieu lui fournit les réponses nécessaires. L'homme repartit. En
chemin il rencontra l'arbre et lui dit:
- Dieu m'a révélé qu'une grande quantité d'or se trouve cachée juste sous tes
racines. Voilà pourquoi tu ne peux te développer. Qu'on enlève cet or et tu
auras des branches vertes.
- Merveilleux! s'écria l'arbre. Vite, creuse entre mes racines et prends l'or!
- Non, non, je ne peux pas, Dieu m'a offert ma chance. Je dois rentrer chez moi
et en profiter!
L'homme partit. Il rencontra la jeune fille insatisfaite qui lui demanda:
- Alors? Que t'as dit Dieu?
- Il m'a dit que pour connaître le bonheur, tu dois rencontrer un époux qui
partagera tes joies et tes peines.
- Epouse-moi ! lui dit la jeune fille. Epouse-moi et nous serons heureux
ensemble !
- Je ne peux pas, je n'ai pas le temps! Dieu m'a offert ma chance et je dois
rentrer chez moi pour en profiter. Cherche un autre époux.
Et il s'en alla. Un peu plus loin, il rencontra le loup affamé qui lui demanda:
- Alors? As-tu parlé à Dieu pour moi?
- Laisse-moi d'abord te dire ce qui m'est arrivé, répondit l'homme. J'ai
rencontré une jeune fille malheureuse et je lui donné la réponse de Dieu : elle
doit trouver un époux. J'ai rencontré un arbre sans feuillage, auquel Dieu fait
dire : un tas d'or bloque tes racines. La jeune fille voulait m'épouser,
l'arbre voulait me faire creuser pour retirer l'or, mais bien entendu j'ai dit
non ! Dieu m'a offert ma chance, il me l'a dit, et je dois rentrer chez moi pour
en profiter !
- Et moi? demanda le loup. Est-ce que Dieu t'a donné la solution de mon
problème? Réponds-moi avant de partir!
- Oui, dit l'homme. Dieu a répondu ceci : le loup marchera affamé sur la terre
jusqu'à ce qu'il rencontre un imbécile qui pourra assouvir sa faim.
- Où veux-tu que je rencontre un plus grand imbécile que toi ?
Il se jeta sur l'homme et le dévora.
- Un cavalier aperçut
un serpent venimeux au moment où il se glissait dans la bouche d'un homme
endormi. Que faire ? S'il laissait l'homme dormir, tôt ou tard le serpent le
mordrait, le tuerait. Alors, il fouetta l'homme de toute sa force. Il le réveilla
brutalement d'un coup de fouet, il l'entraîna dans une remise où se trouvait un
tas de pommes pourries. Sous la menace de son épée, il obligea l'homme, qui
hurlait de rage, à manger une masse de pommes. Puis il lui fit boire une
quantité d'eau saumâtre sans prêter attention à ses cris.
- Mais que t'ai-je fait, ennemi de l'humanité, pour que tu me traites de cette
manière ?
Après plusieurs heures de souffrances, d'insultes et en larmes, l'homme
s'écroula sur le sol. Il vomit les pommes, l'eau, le serpent. A la vue de
l'animal, il comprit ce que l'homme avait fait, il lui demanda pardon de
l'avoir insulté et le remercia.
- Pourquoi m'as tu sauvé ? demanda-t-il enfin.
- Parce que la connaissance est mère de la responsabilité.
- Que veux-tu dire ?
Le cavalier resta silencieux. Il aida l'homme à se relever et à nettoyer ses
vêtements. Celui-ci dit encore:
- Si tu m'avais prévenu de la présence de ce serpent dans mon estomac, j'aurais
accepté ton traitement de bonne grâce.
- Je ne crois pas, dit le cavalier.
- Pourquoi ?
- Si je t'avais prévenu, tu ne m'aurais pas cru. Ou bien la peur t'aurait
paralysé. Ou bien tu te serais enfui à toutes jambes. Ou bien encore tu serais
retourné au sommeil, y cherchant l'oubli.
Là-dessus, le cavalier sauta sur cheval et s'éloigna très vite.
- Un éléphant
traverse un fleuve. Tout à coup un de ses yeux se détache et tombe au fond de
l'eau. Affolé l'éléphant se met à le cherche de tous côtés, mais en vain. L'oeil
paraît bel et bien perdu. Pendant qu'il s'agite au milieu du fleuve, tout
autour de lui les animaux aquatiques, les poissons, les grenouilles mais aussi
les oiseaux, et les gazelles restées sur la berge, tous lui crient:
- Calme-toi ! Du calme, ô éléphant ! Calme-toi !
Mais l'éléphant ne le entend pas et il continue à chercher, sans trouver son
oeil.
- Du calme! crient les autres. Du calme !
Il finit par les entendre, il s'immobilise et il les regarde. Alors, l'eau de la
rivière entraîne doucement la vase et la boue qu'il soulevait en pataugeant.
Entre ses pattes, en regardant, il aperçoit son oeil dans l'eau redevenue
claire.
Il le ramasse et le remet en place.
- Un homme dit à son fils :
- Tu devrais te lever de bonne heure mon fils.
- Et pourquoi, père ?
- Parce que c'est une très bonne habitude. Un jour où je m'étais levé à l'aube,
j'ai trouvé un sac d'or sur le chemin.
- Il avait peut-être été perdu la veille ?
- Non, non, dit le père. Il n'était pas là, la veille au soir. Sinon je
l'aurais remarqué en rentrant.
- Alors, dit le fils, l'homme qui a perdu son or s'était levé encore plus tôt
que toi. Tu vois que ce n'est pas bon pour tout le monde de se lever tôt.
- L'empereur du Japon
visite ses provinces. Dans une ville, dès son arrivée, il remarque une cible
avec une flèche plantée très exactement au milieu. Un peu plus loin, au cours
de sa visite, il remarque une autre cible plantée d'une autre flèche. Cette
seconde flèche est, elle aussi, fichée au centre exact de la cible. Et ainsi de
suite. A la quatrième cible parfaitement frappée qu'il aperçoit, l'empereur
demande à rencontrer ce tireur extraordinaire.
- Oh non, lui dit un dignitaire de la ville, ça n'en vaut pas la peine, c'est
un idiot.
- Un idiot ? Mais comment un idiot peut-il tirer avec cette adresse quasi
divine ?
- C'est simple. Il plante d'abord la flèche. Après quoi, tout autour, il
dessine la cible.
- Un homme pauvre se
prit de querelle avec un homme riche qui le gifla. L'affaire fut amenée devant
le juge qui écouta les deux plaignants et décida que l'homme riche donnerait un
bol de riz à l'homme pauvre. Alors l'homme pauvre se tourna vers le juge et le gifla
vigoureusement.
- Qu'est-ce qui te prend ? demanda le juge.
- Oh, ce n'est rien, dit l'homme pauvre. Juste une envie. Quand on apportera le
bol de riz, prenez le pour vous. Moi, je m'en vais.
- Ahmed et Lakhdar se
présentent devant le cadi, magistrat chargé de rendre la justice. Lakhdar prend
la parole et dit, montrant Ahmed du doigt :
- Mon ami Ahmed m'a trahi. Il s'est conduit d'une manière abjecte. Il est venu
dans ma maison en mon absence, il a volé mon argent, il a volé mon âne, violé
ma femme et battu mon fils jusqu'au sang. Cadi, tu dois me rendre justice !
Le cadi lui dit :
- Tu as raison.
Alors Ahmed s'avança et dit très vigoureusement :
- Mais pas du tout ! Ça ne s'est pas passé comme ça ! Je suis allé chez Lakhdar
c'est vrai, mais cet âne c'est le mien, qu'il m'avait emprunté et qu'il ne
voulait pas me rendre ! Cet argent c'est le mien, que je voulais récupérer ! Je
n'ai pas violé sa femme, c'est elle qui s'est jetée sur moi, car elle est
toujours en manque d'amour ! Et comme je voulais me débarrasser d'elle, leur
fils s'est mis à me frapper ! Je me suis défendu comme j'ai pu et je suis
reparti les mains vides ! C'est à moi cadi que tu dois rendre justice !
Le cadi qui écoutait attentivement, lui dit :
- Tu as raison.
Alors, le premier assistant du cadi, qui se tenait debout derrière lui, se
pencha et dit à mi-voix :
- Mais enfin cadi, ces deux hommes ont dit des choses totalement
contradictoires, et tu leur as dit, à tous les deux, qu'ils ont raison ! Ce
n'est pas possible !
Et le cadi dit à son assistant :
- Tu as raison.
- Autrefois, il y a
très longtemps, Dieu lança à l'humanité un avertissement terrible. A une certaine
date, à moins d'être précautionneusement emmagasinée, toute l'eau de la terre
allait disparaître. Elle serait remplacée par une eau nouvelle qui rendrait
tous les hommes fous. Un seul homme suivit cet avis. Il rassembla une grande quantité
d'eau et la mit quelque part en réserve. Lorsque le jour annoncé arriva, les
cours d'eau cessèrent de couler, les puits se tarirent, toute la terre se dessécha.
L'homme prévoyant entreprit de vivre dans sa retraite, buvant son eau
sauvegardée.
Quelque temps plus tard, l'eau nouvelle tomba du ciel, les ruisseaux et les
puits se remplirent. L'homme quitta son abri et revint parmi ses semblables. Il
trouva qu'ils tenaient des discours, qu'ils accomplissaient des gestes,
totalement différents et étranges. Ils avaient oublié ce qui s'était passé et
même l'avertissement. L'homme essaya de leur parler, mais ils le prirent pour
un fou. Certains lui montrèrent de l'hostilité, d'autres de la compassion. Ils
ne le comprenaient pas.
Il refusa de boire l'eau nouvelle et revint à sa retraite. Là, il continua de
boire l'eau tenue en réserve. Assez vite la solitude lui devint très difficile
à supporter, comme sa singularité, car il était à nul autre pareil. Il revint
parmi les autres et but lui aussi de l'eau nouvelle. Alors, il oublia jusqu'à
l'endroit où il gardait sa provision d'eau, et les autres le considéraient
comme un fou qui avait par miracle retrouvé la raison.
- Un vieux chinois,
avant de mourir, fit un voeu. Il désirait voir l'enfer et le paradis. Comme sa
vie s'était déroulée dans l'honnêteté, son voeu fut exaucé. On le conduisit
d'abord en enfer. Il vit des tables couvertes de nourritures délicieuses, mais
les convives paraissaient affamés et furieux. Assis à deux mètres des tables,
ils devaient utiliser de très longues baguettes et ne parvenaient à faire
pénétrer aucune nourriture dans leurs bouches. D'où leur souffrance et leur
colère.
En suite on transporta le vieil homme au paradis et il vit exactement le même
spectacle.
- Oui, raconta-t-il à son retour. Les mêmes tables, la même nourriture, les
mêmes baguettes. Mais tous les convives semblaient heureux et rassasiés.
- Pourquoi ? lui demanda quelqu'un.
- Parce qu'ils se nourrissaient les uns les autres.
- Un homme très en
colère dit à sa femme :
- Je te répudie si tu ne me dis pas la vérité ! As-tu volé quelque chose dans
ma poche ?
La femme répondit, en le regardant droit dans les yeux :
- J'ai volé. Je n'ai pas volé.
L'homme réfléchit un instant. Il comprit que, de toute manière, sa femme avait
dit la vérité comme il le lui demandait. Et il se calma.
- Un officier
approcha un maître Zen et lui demanda :
- Le ciel et l'enfer existent-ils vraiment ?
Le maître le regarda et lui dit :
- Qui êtes-vous ?
- Je suis général.
Le maître éclata de rire et dit :
- Quel est l'idiot qui vous emploie comme général ? Vous ressemblez plutôt à un
boucher !
Le général, sortit son sabre et cria :
- Je vais vous tuer !
- Ici s'ouvre la porte de l'enfer, cria le maître.
Le général, se calma, réfléchit un instant et dit :
- Je suis désolé. Veuillez excuser ma brutalité.
- Ici s'ouvre la porte du paradis, répliqua le maître.
- Il y a fort
longtemps, un général emmenait ses troupes combattre un ennemi dont la force
leur était dix fois supérieure. Sur la route, il s'arrêta près d'une chapelle
pour prier et demander de l'aide. Après avoir prié il s'adressa à ses troupes :
- Maintenant, je vais lancer une pièce. Si c'est face nous gagnerons. Si c'est
pile nous perdrons.
Le général lança la pièce qui rebondit plusieurs fois avant de s'arrêter sur
face. La troupe hurla :
- Nous vaincrons. La victoire est assurée. Chargeons et
liquidons l'ennemi.
Au cours du combat qui suivit, l'ennemi, bien que plus fort, fut battu. Après
la bataille un lieutenant dit au général :
- Ceci est la volonté du ciel, rien ni personne ne peut changer le destin.
- Ah oui ? dit le général en sortant de sa poche la pièce qu'il avait lancée
avant la bataille. Les deux côtés étaient des faces.
- Un homme rencontra
un tigre dans la jungle. Il courut vers une falaise et s'agrippa à une liane
alors que le tigre feulait en bas, les mâchoires grandes ouvertes. Au-dessus de
l'homme, deux souris se mirent alors à ronger la liane. L'homme ne pouvait pas
monter, la liane allait bientôt se briser et le tigre attendait en dessous. La
situation était désespérée. Tout à coup l'homme vit une très belle mûre près de
lui. Il la saisit et la mangea.
- Quel goût délicieux! dit-il.
- Une vieille dame
était surnommée "sorcière pleureuse" car elle pleurait sans cesse,
qu'il pleuve ou qu'il ne pleuve pas. Un jour un passant lui demanda :
- Vieille femme, pourquoi pleures-tu sans arrêt ?
La vielle répondit :
- J'ai deux filles, l'aînée vend des sandales et la cadette des parapluies.
Quand il fait beau, je pense à ma fille cadette qui ne vend pas ses parapluies.
Et quand il pleut, je pense à ma fille aînée qui ne vend pas ses sandales
d'été.
L'homme, qui était un sage, lui dit alors :
- Essayez donc de changer votre manière de penser. Quand il fait beau, l'aînée
vend bien ses sandales, et quand il pleut c'est la cadette qui fait des
affaires avec ses parapluies.
- Oh, vous avez raison, lui dit la vielle.
Depuis lors, la "sorcière pleureuse" est toujours souriante - peut
importe qu'il pleuve ou qu'il fasse beau.